Rencontre avec Constance Guisset, créatrice de Suchaillou

© Vincent Leroux

© Mehdi Dolmy / Januel et Muraillers

© Constance Guisset Studio

Nouvelle œuvre d’art refuge du projet Fenêtres sur le paysage, cet abri troglodyte affleure dans un paysage de sucs au col de Raffy, à Queyrières en Haute-Loire. Rencontre avec Constance Guisset, artiste, designeuse, architecte d’intérieur et scénographe, elle est la créatrice de Suchaillou.

En quoi le site de Raffy est-il inspirant pour une artiste ?

Raffy, c’est une promesse d’aventure. D’abord, c’est une vue. La découverte d’un paysage qui s’étend jusqu’à l’horizon, à la fois aride et doux, entre pierre et mousse. Un lieu rocailleux, balayé par le vent. L’âpreté d’un paysage est toujours de nature à me toucher, à me donner envie d’ajouter une forme de douceur pour créer un refuge, tout en conservant la minéralité propre à l’endroit.

Ensuite, le projet de Raffy s’inscrit dans une parcelle exigeante. Elle est complexe, étroite, il y a peu d’espace à utiliser mais beaucoup à regarder. La petitesse peut paraître un défaut ou une contrainte, mais c’est une chance. Un endroit étroit, c’est un abri, une alcôve, une cachette. C’est intime et rassurant et cela nécessite d’être habile dans le dessin, de bien anticiper les fonctions et les usages. Pour ma part, j’aime que la complexité me pousse dans mes retranchements, je me sens presque plus à l’aise que lorsque tout semble trop évident.

Raffy, c’est aussi – et surtout – des gens. Une immense solidarité, un grand élan autour du projet. C’est bien sûr un maire, voire même des maires. Des voisins. Des artisans aux savoir-faire exceptionnels. Un urbaniste. Des lycéens. Des grenouilles, des margaritas et des rires.

De là est né Suchaillou ?

Le sujet était de créer un refuge avec des artisans locaux, en profitant d’un savoir-faire unique et ancestral. Lors de mes visites, j’ai eu la chance de visiter quelques abris de pierre sèche autour de Queyrières, entre murs de berger allongés et petites chibottes. J’ai aimé leur simplicité et leur accueil.

En parallèle, je savais que je devais construire face à une vue inouïe, qui s’offre à tous depuis le bord d’une route. Ma première pensée a été de préserver le bien commun et de rester humble dans la conception. Mon obsession a été de me fondre dans le décor, en concevant un objet qui aurait pu avoir toujours été là. Je me suis donc inspirée de la géologie locale, en proposant un minuscule soulèvement de la croûte terrestre, un nouveau petit suc, en partie troglodyte. Depuis la route, il affleure, une forme ronde invite riverains, randonneurs et curieux à contourner pour découvrir la façade.

Le dessin a guidé la conception, les échanges, puis la fabrication, mais il m’a peu à peu échappé. Les pierres s’en sont mêlées, les artisans s’en sont saisis, le maire et les voisins ont veillé sur Suchaillou et le projet est ainsi devenu celui de tous.

Avec Suchaillou vous avez construit une microarchitecture, un pas de côté dans votre pratique souvent proche du design ?

Mon métier et mes choix m’amènent à concevoir des projets de toutes sortes, aux échelles variées. J’aime être surprise par la découverte d’autres pratiques et d’autres interlocuteurs. Certains objets esquissent aussi des microarchitectures, comme la lampe Vertigo qui crée un sentiment d’intimité.

Ici, la grande différence tenait à la technique de pierre d’une part et au fait de créer un bâtiment dans son entièreté d’autre part. Suchaillou m’a poussée dans mes retranchements, j’ai aimé le frisson et le doute qui m’ont animée pendant tout le projet. Pendant plusieurs mois, Suchaillou a été mon projet préféré, le plus étonnant, le plus excitant de tous. Nul doute qu’il gardera toujours une place particulière dans ma carrière de designer.

Faire une œuvre d’art refuge ouverte à tous répond à ma conviction que le design doit être accessible, qu’on doit tous pouvoir profiter d’un endroit accueillant et bien conçu sans avoir à payer. C’est la même motivation qui m’anime quand je conçois des espaces d’accueil ou quand je dessine des bancs d’église, par exemple.

Quels liens avez-vous tissés sur ce territoire avec les différents partenaires ?

Les relations avec l’ensemble des partenaires ont été un élément clé du projet, de sa réussite et aussi du plaisir à le réaliser. Je me suis sentie portée par l’ensemble de l’équipe. Évidemment par Derrière Le Hublot. Et par Jean-Pierre Sabatier, le maire, qui sait trouver des pierres tout en conduisant le bus scolaire et en résolvant mille choses dans sa commune. Le projet n’aurait pas été le même sans l’élan collectif, qui a impliqué les voisins, des lycéens… Et bien sûr, rien n’aurait été possible sans les artisans exceptionnels chargés de la construction, particulièrement le murailler François Januel et son équipe, le charpentier David Michel, la carrière du Pertuis pour la taille de pierre. Ils ont absorbé le projet et l’ont brillamment restitué, pierre par pierre. Il est maintenant plus le leur que le mien et je m’en réjouis.

Quand le projet a été officiellement présenté aux habitants, on m’a beaucoup dit «c’est ça qu’on voulait». Or, personne ne m’a donné de cahier des charges formel précis, ni de suggestion particulière. Devant ces réactions et en voyant chacun s’approprier Suchaillou, j’ai compris que j’avais réussi à concrétiser les ondes sismiques de Raffy. Un artiste c’est une personne à l’affût, une éponge qui écoute et capte les énergies en présence. À chaque étape du projet, j’ai tenté d’être une équipière au service d’un désir commun.

Autres actus Fenêtres sur le paysage