Regards croisés

Quelques bénévoles de l’équipe cuisine de Derrière Le Hublot partagent leur découverte du Service d’art à domicile. Elles accompagnent les artistes, chercheuses, chercheurs et au fil des rencontres, elles ont été invitées à découvrir véritablement le projet, en suivant artistes et aides à domicile chez les personnes bénéficiaires.

Marie-Odile Simon « Le Service d’art à domicile… On a beau nous expliquer que ce sont des artistes qui vont au domicile de personnes isolées en compagnie de leur aide à domicile, j’avais du mal à imaginer ce qui pouvait se passer. Il s’agit en fait d’une magnifique rencontre entre trois personnes. J’ai eu le privilège d’assister à une de ces rencontres. Après une petite promenade, histoire de briser la glace, nous entrons dans la maison et dans la vie de Renée Gayral par l’intermédiaire de ses photos de famille. Puis Oriane Journeau propose de cuisiner, Renée lui demande de faire des crêpes. On a cuisiné, parlé, ri. »

Maryse Cabandé « Je suis allée chez Claudine Olivier à Gelles. Ce fut un grand moment plein d’émotions et de bonheur. Claudine nous a parlé de son chevreuil qu’elle a adopté. Nous avons regardé les photos prises à l’époque. Ensuite l’intervenante, Cécile Grassin, nous a fait jouer avec nos mains en silence, les yeux fermés, puis en musique. C’était riche en sensations, ce n’est pas si facile de toucher même les mains des autres, mais ça s’est avéré très agréable. Ensuite, elle a dansé sur le même morceau. La séance photos pour clore la rencontre, et le départ étaient chargés en émotions. C’était un moment suspendu avec une intervenante très douce. En clair, une super expérience. Je suis jalouse des aides à domicile, elles ont trop de chance. »

Nadine Rouillon « Temps suspendu, moment magique d’écoute, d’échange et soudain le jaillissement de l’idée artistique. Passage du temps passé au moment présent, avec la force de la conjugaison entre souvenirs, passions d’une personne âgée pour son jardin et interprétation artistique. Plaisirs de l’art, du ravissement de la personne et de son aide à domicile. Offrir ce temps précieux et magique, qui permet de s’échapper du quotidien. L’art à domicile, c’est un bonheur humain de respect du temps passé traduit artistiquement dans le moment présent. Un bonheur pur et simple. La célébration de la vie, en fait. »

Michèle Bottin « J’ai été invitée à me rendre chez Sylviane Faivre Pierret à Figeac avec la chorégraphe Cécile Grassin. Là, accueil chaleureux, petit café de bienvenue et Sylviane qui nous raconte qu’avec le café, elle prend toujours un morceau de sucre qu’elle laisse fondre dans sa bouche. Elle a gardé cette habitude de la période où elle et sa famille étaient réfugiées dans le Nord. Et moi, je suis du Nord et je prends mon sucre de la même façon ! Le premier lien venait de se créer entre nous deux. Avec Cécile, très douce et à l’écoute, le contact s’est établi tout naturellement. Elle nous a proposé de danser avec les mains avant d’exécuter en solo, un beau moment de danse dans l’appartement. Sylviane, bien que mal-voyante, était très réceptive. C’est une personne qui aime rire, non dépourvue d’humour et de franc-parler, bien résolue à profiter pleinement du moment présent. J’ai ressenti entre elle et son aide Émilie Berger, véritable confidente, une très belle et tendre complicité. Ces deux heures sont passées très vite et ce n’est pas sans émotion que nous nous sommes quittées. Ce fut un réel plaisir d’avoir été conviée à cette belle rencontre, à cette expérience du Service d’art à domicile qui ouvre, pour un moment, une fenêtre dans des vies souvent de plus en plus limitées. »

Emmanuelle Gres « Robert Laviale a 91 ans. L’absence de sa femme hospitalisée lui a vraisemblablement fait perdre ses repères. Il est difficile de capter son regard ou son attention. Il répond succinctement aux questions sur sa vie professionnelle comme conducteur de train à Paris, ou sur sa famille. Il lui reste la télé, et ses émissions sportives, dans ce salon rempli des différentes collections de sa femme. Géraud Cayla, comédien, prend des notes mais Robert se fiche de ce qu’il écrit. Puis Géraud sort son accordéon, joue quelques mélodies. Robert a mal au dos, tient mal sur ses jambes. Avec quelques années de moins, il aurait peut-être accepté la proposition d’esquisser quelques pas de danse avec moi, dit-il. Pas là. Mon buste continue de suivre le rythme, et mon regard essaie de capter celui de Robert. Que se passe-t-il dans sa tête ? Un imperceptible mouvement de sa main me pousse à imaginer qu’il se souvient des bals avec Yvette… Il me pose quelques questions. Une ébauche de dialogue ? Corinne Charbonnel redescend de l’étage où elle faisait le ménage. Elle apporte un petit gouter à Robert. Pour clôturer la rencontre, nous sortons sur la terrasse et nous asseyons sur le banc, pour les photos souvenir. Robert pose une main sur mon genou. C’est pour moi un signe de confiance, et le signe que ce temps passé ensemble a compté pour lui. Merci pour cette expérience sensible ! Robert c’est aussi le prénom de mon voisin, décédé en début d’année. »