Correspondance transatlantique

En juillet dernier, un groupe de jeunes aveyronnais·e·s s’est envolé pour la Guyane pour poursuivre un échange entamé en février 2022 avec des jeunes réuni·e·s par le Théâtre de l’Entonnoir, théâtre-école qui œuvre depuis plus de 20 ans pour accompagner la jeunesse de Kourou à porter sa voix sur scène et expérimenter la création artistique auprès d’artistes professionnel·le·s. A l’occasion de ce second séjour de 10 jours à la découverte de la Guyane, le groupe de jeunes s’est immergé dans la culture plurielle de ce territoire ultramarin en profitant d’expériences et visites uniques, de cours de danse créole et bushinenguée. Avec l’ambition que ce séjour puisse leur ouvrir l’imaginaire et offrir un terrain propice à la création artistique au-delà de leurs différences culturelles, l’artiste slameur aveyronnais Lombre et son musicien, Florian Soulier, ont été invités à accompagner les adolescent·e·s au cours de 5 jours d’ateliers pour réaliser une création artistique à partir de leurs mots, leurs textes et leurs univers artistiques avec pour fil rouge l’histoire de cette rencontre. Un voyage initiatique et émancipateur qui leur a ouvert les yeux sur ce qui les rassemble au-delà des différences de couleurs de peau et de parcours de vie… Au total, ce sont 21 jeunes qui ont participé à cette aventure artistique transatlantique.

Découvrez quelques uns de leurs textes ci-dessous :

7000 km de Larra & Gianni
Ici, là-bas. Tellement de choses nous séparent.
Là-bas, champs dans lesquels on peut courir. Ici, la Guyane la terre où l’on respire l’air vert de notre mère la forêt.
Là-bas des bâtisses en pierre, hautes de plusieurs étages. Ici, des toit en tôle où résonne les tonnes de gouttes.
Là-bas une mer bleue de cartes postales. Ici le fleuve Maroni fait des caprices.
Là-bas, on ne se mélange pas trop. Ici, on préfère sa communauté, comme une grande famille.
Mais ici comme là-bas, les repas sont des moments de fête. Dans l’immensité, parfois en apnée on s’est senti seul. Mais ici, dis moi où tu habites, je te dirais qui tu es.
Là-bas, lassés de l’éternel recommencement, on s’écarte peu à peu de nos anciens. Ici, on danse, on crie, on vit nos traditions.
Là-bas, tout est accessible en peu de temps, sur un coup de tête. À cause de la distance on pense être condamné à rester enfermé dans notre quartier
Là-bas, il est si rare d’entendre des mots inconnus Ici, ces langues aiguisées échange et change d’une bouche à l’autre. Pour nous offrir ce chant, je suis ma culture.
Ici et là-bas tellement de chose nous sépare. Regarder dans le hublot. Glisser dans l’Entonnoir. Ces mots sont une échappatoire.

Souffle de Romane
elle se tourne et se retourne pour trouver la paix 
réussir à se calmer n’est pas toujours un succès 
son ventre gronde, tourbillonne, s’allonge 
sa vie est presque devenu un mensonge
elle souffre 

elle a peur de trop donner, de trop montrer 
comme si avancer masqué pouvait lui donner un minimum de crédibilité 
parce qu’elle a peur de jugement, parce qu’elle craint les regards, 
elle voudrait contrôler ses paroles, contrôler ses actes bizarres
ses yeux s’ouvrent et se ferment en pleine nuit 
manque d’attention, elle déteste sa propre compagnie. 
elle souffre 

tant d’espoir pour pas grand chose
c’est ce garçon là qui lui fait faire une overdose
elle panique à la vue d’un repas
s’efforce même parfois à avaler un plat
elle souffre

la dernière nuit se passe 
l’avion décolle et crée une impasse
la boule au ventre quand elle y pense
la Tour Dreyfus qui sert de surveillance
les brochettes de crevettes se font sentir
pourtant ce soir là, elle se sent seule sur  son navire 
elle souffre

la virée à Saint Laurent du Maroni
lui ouvre les yeux sur le bagne et sur la pluie
certains se baignent dans le fleuve
tandis que les accomplis s’abreuvent
elle souffre

les habitués s’attardent au marché de cacao 
elle reste bouche-bée devant toutes ces noix de coco
allongée sur son hamac dans un carbet 
elle se sent dorénavant calmée, rassurée et apaisée
enfin elle souffle